La lecture

De même que le préjugé favorable qui entoure l'écriture comme activité m'étonne, je suis toujours surpris de la bonne opinion qu'on a de la lecture. Voilà une activité saine et formatrice, pense-t-on, comme le jogging, et peut-être même meilleure. Dans les romans du XIXeme pourtant, les héros qui lisent trop se font sans cesse réprimander : ils feraient mieux de prendre l'air, de prendre de l'exercice. Aujourd'hui, alors qu'on lit de moins en moins (de moins en moins de romans en tout cas), la lecture n'a jamais eu autant la cote.

Dans cent ans, je pense qu'on se plaindra que les jeunes ne regardent plus assez la télé : ils passeront trop de temps sur Internet, sur leur console de jeu, que sais-je encore.

La lecture est peut-être l'une des activités les moins fatigantes, avec fumer, regarder la télé, méditer et faire la grasse matinée. On voit que ces activités pourtant proches jouissent d'un niveau de considération sociale très variable. Tout en haut, sur un nuage, la méditation, exercice salutaire par excellence. Subterfuge ?

Avez-vous remarqué comme il est difficile de parler de ses lectures avec quelqu'un ? Ceux que ça intéresse ont en général leur idée sur ce qui est bon et ce qui ne l'est pas (moi le premier). Autant en matière de cinéma, de politique, de voitures et même de foot, on est prêt à faire des concessions, autant pour la littérature on ne discute pas : c'est génial ou c'est nul, un point c'est tout.

Ça m'étonne d'entendre des écrivains, même des vrais écrivains qui publient, dire qu'ils ne lisent pas beaucoup. (Si si, il y en a.) Vu le nombre des livres qui existent déjà, on devrait lire plusieurs centaines de livres avant d'en écrire un nouveau, pour assurer l'équilibre en quelque sorte. Moi je crois qu'il y a un art de la lecture, un peu comme l'art de la mise en scène par rapport au théâtre. Et pour parler de cet art, je fais comme tout le monde : j'écris.

On s'obstine à demander aux écrivains : Pourquoi écrivez-vous ?, comme si c'était comme ça qu'on allait comprendre le mystère de la littérature ! Il vaudrait bien mieux demander aux lecteurs pourquoi ils lisent.

Quoique... On n'obtiendrait sans doute encore que de jolis mensonges : pour me détendre, pour m'évader... pour m'instruire... pour élargir mon horizon... Il me semble que la bonne réponse serait plutôt celle-ci :

LA LECTURE EST CE QUI NOUS CONSOLE DE LA MORT.

Lu hier dans Télérama un dossier sur les écrivains Indiens contemporains. L'Inde s'ouvre à la littérature. Des milliers de livres, des millions de lecteurs, des centaines et des centaines d'éditeurs. Fatalement, il y a certainement au moins 4 ou 5 écrivains exceptionnels parmi eux, écrivains que je ne connais naturellement pas du tout. Comment faire pour trouver le temps de les lire ? D'autant plus qu'aujourd'hui je viens de lire un dossier sur la littérature israëlienne contemporaine...

Il est impossible de lire tous les classiques, même en supposant qu'on puisse faire à l'avance un tri parfait, en ne retenant que ceux qui pourraient réellement nous plaire. Mais, et c'est plus troublant, il est également impossible de lire tous les auteurs contemporains. D'autant plus impossible que dans ce cas le tri n'est ici même pas envisageable. Il faut se faire une raison : quand je mourrai il y aura encore des livres à lire sur ma table de chevet...

S.C.

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