Il y a pas mal de points communs entre Queneau et Perec. Queneau aime travailler le style, Perec explore les formes littéraires, s'essaye à des genres différents. Ces deux-là ont leur thématique personelle, homogène et intéressante . Pour Queneau le signe et le sens, l'obstination des hommes à tout interpréter. Pour Perec la perte, l'oubli, le départ, la dispartion. Mais dans les deux cas, la forme finit par l'emporter sur le fond. Il ne faudrait pas grand chose pour qu'ils soient de très grands auteurs. Faute de mieux, ce sont des défricheurs épatants.
Le style de Queneau, on aime ou on n'aime pas, c'est congénital en somme. C'est comme le goût pour les calembours. Si écrire « chevaus » ou « ouatures » vous faire sourire, vous aimez Queneau, sinon inutile d'insister. Moi, j'aime.
Zazie dans le métro, ce n'est pas que pour les enfants. Je crois même que Queneau a été le premier surpris de voir son livre devenir un classique de la littérature pour enfants. Ce livre, tout le monde peut y trouver quelque chose d'intéressant, on peut le lire à toutes sortes de niveaux. C'est plutôt bien, non ? Ce que j'y ai trouvé, moi, c'est le thème des apparences trompeuses. L'adolescence, l'entrée dans l'âge adulte, c'est la découverte de cette vérité si banale, les apparences sont trompeuses. Même nous qui, n'est-ce pas, le savons depuis longtemps, on se fait avoir à chaque fois, avec le même étonnement...
Malgré un abord léger, frivole, Queneau avait l'ambition d'être un auteur sérieux, profond. Il était passionné de philosophie. J'ai lu qu'il avait cherché, à travers ses romans, à illustrer des concepts philosophiques, un peu comme Camus ou Sartre. Heureusement pour lui, il finit par se laisser emporter par son propre récit. Queneau est un romancier de l'accumulation, de la saturation : au fur et à mesure du récit, les éléments hétérogènes s'accumulent et le texte semble avoir du mal à garder le cap. Là où c'est le plus flagrant, c'est dans Le Chiendent, ce roman qui semble constamment échapper à son auteur pour partir sur des chemins de traverses. Ça donne une formidable impression de liberté, comme dans certaines bandes dessinées.
Odile fait partie pour moi des ces romans parfaits où je n'aurais pas envie de changer une ligne, rien à ajouter, à retirer. Ces romans parfaits (Our man in Havana de Graham Greene, Moi qui ai servi le Roi d'Angleterre de Bohumil Hrabal, etc.), ce ne sont pas toujours des chefs-d'oeuvres absolus, ils révolutionnent rarement l'art du roman, mais ils font tellement plaisir à lire... Odile, c'est un roman d'amour. C'est le roman d'un éveil, de l'éveil à la vie, au monde, à soi-même. C'est le roman d'une époque : le surréalisme, la mode du spiritisme, du communisme, de l'anarchie. C'est un roman sur les mathématiques comme refuge contre la banalité de la vie. C'est surtout le roman d'un jeune homme qui voulait mener une vie hors norme, qui pensait être totalement différent des autres. C'est un roman par moment hilarant, par moment vraiment beau, à pleurer (si on a des prédispositions pour ça). C'est surtout de loin le roman le plus intime, le plus sensible de Queneau. Un signe : c'est l'un de ses rares textes écrits à la première personne. Rassurez-vous, il y a une pudeur épaisse comme un drap de lin, Queneau n'est pas quelqu'un qui se met tout nu pour un oui ou pour un non.
Queneau comme écrivain de la frustration : ses livres commencent avec la promesse d'une intrigue mystérieuse, une énigme, une aventure. Mais cette énigme reste irrésolue, le mystère tourne en eau de boudin. Les fleurs bleues, Les derniers jours : très frustrants, ces romans.
L'aspect qui me rebute le plus chez Queneau : sa misogynie. Plus généralement, sa misanthropie.
Saint-Glinglin : quoiqu'en dise Queneau, j'ai l'impression de lire des textes épars de fond de tiroir recyclés en roman. Le premier, sur les poissons cavernicoles, est étrange et intriguant. Après ça se gâte : je n'accroche pas à cette histoire de rivalité entre un père et son fils, ni à l'histoire de la fille idiote séquestrée. Ce roman m'a terriblement déçu, au point de me faire douter des autres oeuvres. Je conseille donc d'éviter ce roman autant que possible.
Pour en savoir plus (webographie). Sur le site de référence de Suzanne Bagoly consacré à Queneau, voir les résumés des oeuvres de Queneau ; plutôt que ses décevants gribouillages...